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Avant demain

Gambie, 2024.

Sous le régime de l’ancien dictateur Yahya Jammeh en Gambie, de nombreux actes de violations des droits de l’homme ont été commis, incluent des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des violences sexuelles, des tortures et des détentions arbitraires. Parmi les milliers de victimes, les femmes ont été particulièrement vulnérables aux abus du régime, directement ou indirectement.

Les femmes des personnes disparues n’ont jamais été officiellement informées de la mort de leurs maris, fils, pères ou autres membres de la famille, et pour la plupart les rites funéraires ont dû être réalisés sans les dépouilles. Les femmes des soldats qui vivaient dans les casernes ont été brutalement expulsées après les exécutions et ont dû trouver refuge chez des proches, perdant leur logement et leur statut. Les femmes accusées d’être impliquées dans l’opposition politique ont subit toutes sortes d’abus: harcèlement, torture, violence sexuelle.

Toutes ces femmes se sont retrouvées souvent à vivre dans une grande précarité, surtout celles sans ressources financières. À la douleur morale et aux difficultés financières s’est ajoutée la stigmatisation liée aux accusations infondées : la désinformation propagée par la junte présentait les morts ou les accusées comme des coupables, suscitant une réaction publique hostile et générant confusion, culpabilité et honte chez les victimes, en plus de leur stigmatisation.

Aujourd’hui, dans une quête de justice, de reconnaissance et de réparation, des femmes victimes se sont unies, malgré leurs difficultés et leurs traumatismes. Elles travaillent ensemble à survivre à leurs blessures physiques comme psychiques, le soutien mutuel favorisant leur guérison et leur résilience personnelle. Leur partage d’expériences et de ressources renforcent leur capacité à participer activement aux processus de justice et de prévention. Par le travail de mémoire et le long processus de réparation qu’elles construisent, elles deviennent ainsi actrices du changement et porteuses d’avenir.

Merci à Jakana Suso, Fatou Manej, Lele Bongan, Jarra Suwareh, Isatou Marong, Mbyan Demba, Awa Njie, Koumba Jallow (nom modifié), Isatou Jallow, and Fatoumattta Jallow pour leur témoignage, ainsi qu’à l’association Wave (Women’s Association for Victims’ Empowerment). Produit dans le cadre d’une résidence d’artiste sur l’invitation de l’Alliance Française de Banjul.

  • Il s’est levé un vendredi, il est parti marcher et n’est jamais revenu. J’allaitais à ce moment mon deuxième garçon. Les soldats ont donné à mon beau-frère les 150 dalasis et la montre qu’avait sur lui mon mari lors de son arrestation en lui ordonnant de venir me voir, encadré par deux soldats. Il est donc venu mais ne m’a rien dit, il avait trop peur des soldats. Après trois jours sans nouvelles de la part mon mari, ma famille est allée voir un journal pour signaler sa disparition. Le lendemain, un article déclarait qu’il était mort dans un échange de coups de feu à la caserne de Yundum dans une tentative de contre-coup d’État. Ce n’est que grâce à mon oncle qui est aussi dans l’armée que j’ai appris la vérité, plus tard. [À savoir que, ce 11 novembre 1994, lui et 10 autres soldats avaient été battus, soumis à des traitements inhumains et dégradants, puis exécutés par balles sur ordre de la junte]. Ses restes sont encore mélangé aux autres, nous les attendons toujours pour l’inhumation.
  • Je me souviens m’être réveillée et avoir senti mon mari debout à côté du lit. Il a pris notre jeune fils dans ses bras et l’a serré très fort, puis l’a reposé et est parti... Je ne l’ai jamais revu. Le lendemain, une policière m’a appelée en privé pour me dire qu’il était mort. Pendant mon deuil, six policiers sont venus me menacer. Quand l’un d’eux a pointé une arme sur mon front, je lui ai dit : «Faites ce que vous voulez». Les soldats ont dit qu’ils viendraient me chercher le lendemain. Comme je n’étais plus en sécurité, j’ai fui vers Dakar. J’ai traversé la frontière à pied, avec mon fils de 8 mois. Après la mort de mon mari, les choses étaient trop difficiles pour moi car j’avais la responsabilité de prendre soin de la famille. J’ai essayé de trouver un emploi mais malheureusement je n’ai pas pu car toutes les institutions avaient peur de m’employer, car il y avait une forte possibilité que les chefs des institutions perdent leur poste après m’avoir engagée.
  • Mon mari a disparu en 2006. J’ai deux enfants avec lui, un garçon et une fille. Je l’ai cherché partout pendant tellement d’années. Le gouvernement ne m’a rien prouvé et n’a pas aidé ma famille. Lors de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations, un témoin a indiqué qu’il avait été tué par arme à feu. Je n’ai aucune autre réponse, aucun document prouvant la mort de mon mari. Je ne sais pas où il est.
  • En 2016, ils ont battus des manifestants et tué le leader du parti d’opposition. Le 16 avril je suis allée manifester pour protester. J’ai été battu jusqu’à tomber par terre, les soldats m’ont piétinée, m’ont sauté dessus. J’ai réussi à me rendre aux urgences, j’aurai dû être opérée du ventre mais je n’avais pas d’argent. En sortant de l’hôpital, je me suis fait arrêter. Des policiers m’ont bandé les yeux et m’ont déshabillé, ils m’ont insulté. J’ai crié, j’ai pleuré. Ils m’ont violée. Quand ils ont eu fini, ils m’ont rendu mes vêtements. Il n’y avait pas un endroit de mon corps qui n’était pas douloureux. Le lendemain, l’un des policiers a eu pitié de moi et m’a finalement aidé à m’échapper. Je n’en a pas parlé. Je disais : « il ne s’est rien passé pendant mon arrestation ». J’avais tellement peur. Quelqu’un m’a aidé pour que je puisse finalement être opérée, après 3 semaines sans soins. Mon mari m’a reproché de m’être impliquée en politique, et que je « devais en payer les conséquences ». Il m’a reniée. Je ne veux pas qu’on sache ce qu’il m’est arrivé, sinon je ne retrouverais jamais de mari.
  • Mon grand frère, soldat lieutenant, a été tué en 94. Il était chez moi, des soldats sont venu le chercher en lui disant qu’il devait aller patrouiller. Il avait une femme et une fille de trois mois. Nous l’avons cherché partout. Jusqu’en 2016, lorsque nous avons apprit sa mort par les médias. Son corps est toujours avec les autres. Aujourd’hui sa fille va se marier et vit en Angleterre : j’en suis fière parce que j’ai aidé ma belle-sœur et ma nièce pour tout payer.
  • C’est dur. Prend ton temps. Ça va t’aider à guérir. Respire... Respire... Respire... Encore. Ça va t’aider Inspire... Expire... C’est la seule chose qui peut t’aider à guérir. C’est douloureux. Plus que douloureux. Tu es triste, si triste. Mais tu dois continuer. C’est ton remède. Respire.
  • En mai 2016, j’ai a été arrêtée avec six autres femmes pour avoir manifesté lors de la «révolution de Kalama » en faveur de réformes électorales. Je portais le T-shirt floqué avec le logo de la révolution et le portrait du leader assassiné. Ils m’ont battu, à grands coups de bottes dans les jambes. J’ai dû subir quinze jours de détention provisoire, puis vingt jours de prison, avant d’être transférée à l’hôpital. S’en est suivi un procès qui a duré huit mois pendant lesquels je devais me rendre à des convocations régulières. Ma fille a elle aussi été arrêtée.
  • Pendant des années, je l’ai cherché partout, dans les prisons, les hôpitaux, les villages. Jusqu’au Sénégal. Aucune réponses, juste des rumeurs. J’espérais que mon mari soit encore en vie quelque part, même si j’avais peur de parler ou de montrer ma peine. Aujourd’hui j’ai quatre enfants d’un nouveau mariage. Jamais je ne leur parlerai de mon histoire.
  • Nous ne savions rien de sa disparition. Les rumeurs dans l’armée disaient qu’il s’était enfui à Dakar. Mon beau-frère était le soutien de la famille grâce à son salaire de soldat. Il finançait entièrement les études de mon mari, qui n’a donc pas pu terminer ses études. Nous n’avons appris la vérité sur son assassinat que des années plus tard, après le changement de gouvernement : à la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations, un témoin a révélé qu’il avait participé à son assassinat.
  • J’étais le griot du parti d’opposition. J’ai été arrêtée lors d’une manifestation pacifique, condamnée à 3 ans de prison. J’ai fais trois mois de detention préventive puis cinq mois de prison. Le leader du parti, avocat, m’a aidé, puis il y a eu les élections. Les avocats ont alors demandé un procès, qui a eu lieu. J’ai a été innocenté mais n’ai jamais reçu d’excuses. Pendant mon arrestation ils m’ont déshabillée, ils ont été violent, jusqu’à m’abimer un oeil. J’ai été tellement battue sur les jambes qu’aujourd’hui encore j’ai mal et de grandes difficultés à marcher.
  • Le ministre de la justice affirme qu’il y aura un procès, mais quand ? Nous n’avons reçu aucune aide de l’Etat, aucune excuse, pas de papier officiel, rien. C’est toujours difficile d’en parler pour moi aujourd’hui. Ici, c’est le premier lieu où j’ai trouvé de l’aide et de l’écoute.